Une saison pour les ombres

Jasperville , » J’espère ville » ,ne porte pas bien son nom tant cet endroit reclus et exposé à la violence des éléments naturels semble être « éteint », morose et donc sans espoir. Il est vrai que dans cette petite ville minière du Nord-Est du Canada, l’hostilité de la nature est telle qu’on s’interroge sur la santé mentale de ceux qui y vivent…Comment résister face à cette obscurité omniprésente et cauchemardesque ? À ce froid polaire ? Pourquoi s’infliger cette austérité Infernale et ne pas quitter cette vie si rugueuse qui semble se résumer à un hiver sans fin ? C’est peut-être parce que les habitants qui y demeurent non pas d’autres choix… C’est le cas d’ailleurs de la famille de Jacques, notre protagoniste, qui, pour sortir d’une situation financière préoccupante, décide de s’y installer, question de survie. Le père trouve un bon poste à la mine et le reste de la famille fait face, tente de s’acclimater et de se faire une raison. Pourtant, au-delà du sinistre décor, c’est une ombre mystique et maléfique qui semble plâner sur cette communauté et qui crée l’angoisse. D’ailleurs, le grand-père, que la sénilité gagne, voit cette noirceur s’abattre sur la ville, la recouvrir telle une ombre mortifère. Il emplit insidieusement la maisonnée puis la tête des enfants de contes folkloriques peuplés de Wendigo, de monstres maléfiques qui se repaissent de chair humaine. Alors quand on retrouve des corps de jeunes femmes atrocement mutilés, l’effroi gagne la ville et les membres de cette famille qui ne s’en relèveront pas.
La construction du récit qui s’articule autour d’une double temporalité nous informe rapidement que cette famille a a été fracassée par cette violence et qu’il ne reste rien du lien familial. Et c’est d’ailleurs bien des années après les horreurs qui ont traumatisé cette communauté, que Jacques doit revenir dans ce lieu maudit pour venir en aide à son frère qu’il n’a pas revu depuis plus de vingt ans. Au gré des chapitres, les douloureux faits sont exhumés et plus que la quête du meurtrier, il s’agit davantage d’une quête de rédemption, de celle d’un homme qui a fui pour survivre et qui n’a jamais pu se pardonner l’abandon des siens. La force de ce roman tient en grande partie à l’atmosphère glaciale et noire que l’auteur a su instiller au gré des pages. L’immersion dans un lieu hostile, à l’ambiance fuligineuse est totale, on se sent comme perdu dans un hors temps horrifique. Le personnage de Jacques/Jack est également digne d’intérêt car s’il joue un rôle dans l’enquête et qu’il se démène pour identifier le prédateur qui a massacré toutes ces jeunes femmes, l’accent est surtout mis sur ses fragilités. Loin d’être un enquêteur fier-à-bras, il est surtout présenté comme un homme vulnérable qui n’a jamais réussi à accepter ses choix et qui se noie dans sa culpabilité.
Au final, si la lecture a été plaisante dans l’ensemble, j’ai tout de même déploré cette sensation d’étirement, cette pesanteur atmosphèrique, qui a pris le pas sur le souffle que j’attendais retrouver dans ce roman noir. Un bon polar, qui m’a donné envie de découvrir d’autres titres d’Ellory, mais qui n’est tout de même pas un coup de coeur.

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